CAMILLE - ILO VEYOUCousu MainPar Anne-Laure Lemancel Faire découvrir cet article à un ami
Composé durant sa grossesse, le quatrième album studio de la chanteuse Camille, 'Ilo Veyou', déploie des chansons d'amour admirablement brodées. À base d'ingrédients sains et organiques, sa musique de matière dévoile de jolies textures et un goût de la transcendance, qui confine au bonheur.
« Pourquoi fait-on toujours des interviews le cul posé sur une chaise ? Le cerveau humain fonctionne beaucoup mieux en marchant... C'est d'ailleurs ainsi qu'il s'est développé durant la Préhistoire... » Dans son studio, situé au 6B, un espace de création et de diffusion de 3000 m2, aménagé dans un ancien immeuble de bureaux à Saint-Denis (93), la chanteuseCamille, un brin mystérieuse, donne le ton : un mélange de provocations, de coups de pied aux pensées prémâchées, de pieds-de-nez aux habitudes, un regard qui fuit les questions, mais n'en répond pas moins précisément. Si l'interview musclée se déroule finalement assise, l'artiste ne cessera pourtant de donner corps à cette idée de mouvement. Pour la composition de son quatrième album studio, 'Ilo Veyou', la jeune femme évoque à l'envi ces flux d'énergie, ces lâcher-prise, cette transformation de moments de vie empiriques, révolus, en création musicale... Une fois n'est pas coutume, Camille n'a pas cherché à tout contrôler : guidée par ses envies, ses intuitions, elle a laissé parler le bouillonnement dans ses veines, l'immanence, la grâce, peut-être... Mais aussi ce « quelque chose » qui la dépasse, et dépasse toute « construction » d'un discours artistique : la naissance de son premier enfant. La chanteuse a écrit ce disque le ventre rond, avec cet état d'ouverture, de sur-vitalité, qui laisse affleurer l'hyper-sensibilité : un côté brut. Ainsi, dans le travail de studio, pas de reconstruction, de montage, de rajouts, mais un enregistrement de prises live en divers lieux, où les musiciens tous ensemble, sans clic ni casque, ont tenté de laisser surgir le miracle.
Cuisine bio
Or, pour garantir l'envol, il fallait le dépouillement, la nudité, ce « néant » (ni instruments, ni micros...) qui emplit le studio vide de Camille, le « rien », sa matière première. Et c'est bien là l'un des éléments fondateur de son disque : la gestion habile du silence, bâillement initial, page blanche, ennui et allié que redoute notre société d'hyperconsommation. « Avides d'accumulation, nous sommes obsédés par le "toujours plus", s'insurge la chanteuse. Aujourd'hui, on adore les double-cheeseburgers. La peur nous tenaille de manger un simple grain de blé, ou de croquer dans le bœuf directement. Même phénomène dans la musique commerciale... On surproduit les morceaux pour cacher la misère ! On rajoute des sauces, des arômes artificiels, pour dissimuler l'absence de cet élément essentiel : l'émotion. » Dans ce vide, sa voix nue, resserrée ici sur l'expression d'une seule narratrice, peut alors s'élancer, un instrument qu'elle ne saurait contraindre, mais qui se doit d'exprimer les méandres de son âme. Autour de cette ossature, Camille réunit alors des « ingrédients biologiques », triés sur le volet : des instruments acoustiques, vivants, voix, cordes, cors, contrebasses, guitare, piano, quatuor à corde… Tout est utilisé avec parcimonie. Et pour concocter cette saine tambouille, Camille choisit des endroits à la sonorité irréprochable ou insolite. Chapelles, rue, studio boisé... le son doit posséder le grain, se frotter à l'espace, aux voûtes, au grand air, restituer la vie. La technique intervient alors pour lui garder toute sa profondeur, sa patine... Enregistré entièrement sur bandes analogiques, 'Ilo Veyou' tâche de conserver le côté organique, sensuel, la richesse des textures sonores.
Chansons de toile
Car bien au-delà d'une simple démarche intellectuelle ou spirituelle, Camille joue de la musique, comme elle jouerait de la matière. Sur scène, lors d'une série de concerts de présentation d'album au Couvent des Recollets (Paris 10ème), drapée d'un or sombre, brut, elle faisait dialoguer ombres et lumière à l'aide d'une ampoule électrique. Quant à sa pochette d'album, inspirée d'enluminures médiévales, elle fut réalisée en fil d'or, par des brodeuses professionnelles : « J'adore : c'est un travail minutieux de la main et de la lenteur », s'enthousiasme-t-elle. Et sur cet album, dans ce temps suspendu de la grossesse, Camille brode inlassablement de sa voix des « chansons de toile ». Son sujet de prédilection ? L'amour, décliné à travers les âges et à travers les siècles. 'Ilo Veyou', au titre un peu voyou, propose ainsi une myriade de love songs, courtoises, élégantes, qui se baladent, flânent et s'alanguissent du Moyen Àge à la période hippie : ballades folkloriques, ritournelles a capella, chansons d'oiseleurs et de ménestrels, R&B...
Concept de bonheur
Avec la naissance de son album, Camille s'étonnera alors des imprévus qui la dépassent, des merveilles incontrôlées, s'en effraie un peu, s'en réjouit surtout. Dans le Dossier de Presse reçu par tous les journalistes, elle tenait à préciser par cette phrase laconique : « ceci n'est pas un concept album ». Si le hasard a repris ses droits sur l'organisation systématique, la musique de Camille n'en reste pas moins une recherche, mais celle, pure et simple, du bonheur. Apaisée, sereine, l'artiste avoue trouver dans les notes et le rythmes une source de plaisir intarissable, un moyen de se relier au Cosmos, un modèle social (« comme dans ces orchestres symphoniques, où chacun, à l'écoute de l'ensemble, trouve sa place »), une foi qui, au-delà de tout phénomène de succès ou de médiatisation, l'aide à vivre et à supporter monde qui n'est pas cousu à se mesure.
Camille, 'Ilo Veyou', EMI
Voir : Ilo Veyou (acoustique)
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